Meytal Blanaru

Des plateaux sans décor. Des danseurs vêtus d’habits choisis mais quotidiens. Des éclairages très neutres et constants. Des gestes et des mouvements souvent très simples, d’une grande précision, qui reviennent régulièrement, qui évoluent progressivement au fil des recombinaisons. Dans leurs premiers instants, les chorégraphies de Meytal Blanaru peuvent paraître guidées par une esthétique de la transparence, du motif pur, du jeu compositionnel avec les formes. Par une certaine distance, s’il n’y avait pas la musique à la fois atmosphérique et enveloppante de Benjamin Sauzereau. Mais cette apparence de minimalisme et de transparence n’est en fait qu’une façon d’accéder à une autre opacité, plus organique et plus irradiante : celle du mouvement lui-même, de ses textures et des strates successives de sensation qui le constituent dans l’épaisseur d’une ‘physicalité profonde’, comme l’aime à la qualifier la chorégraphe.

Née en 1982 en Israël, Meytal Blanaru vit et travaille à Bruxelles. Depuis son premier solo Lilly en 2008, elle a développé une recherche personnelle du mouvement à partir de la méthode Feldenkrais qu’elle enseigne par ailleurs. Baptisée Fathom High, cette pratique chorégraphique se centre avant tout sur l’attention à la sensation et à ses trajets à l’intérieur du corps pour guider les mouvements. La composition se fait alors écoute plutôt qu’écriture, disponibilité plutôt que décision. Tout le projet est de proposer aux spectateurs une expérience d’empathie kinesthésique, de connexion à soi par l’intermédiaire des états de mouvements des danseurs, une expérience aussi proche que possible de celle que vivent les participants à un cours de Feldenkrais. Assez naturellement, cela produit une chorégraphie caractérisée par une grande économie de gestes et par des échelles réduites, par un ancrage au sol très marqué, par une grande linéarité des arcs de mouvement. Mais simultanément, ce vocabulaire assez restreint est profondément infléchi par la personnalité de chaque interprète — car cette recherche de la subtilité et de la résonance est par définition modulée sur les tonalités corporelles et sur le tempérament de chaque danseur.euse. 

Le mouvement, le corps, portent mémoire. Toute la densité de ce qu’on appelle un peu vite une attitude corporelle est en réalité comme une biographie qui se devine à fleur de corps mais dont le texte intégral reste logé (et accessible) en profondeur. C’est à un tel travail d’archéologie que Meytal Blanaru a consacré, entre 2010 et 2020, une série spectacles — Aurora (2010), We were the future (2017) et Rain (2020) — sur la mémoire corporelle, jusqu’à retrouver en elle-même le souvenir longtemps recouvert d’abus sexuels subis dans l’enfance, dont le solo Rain est la confrontation/transfiguration chorégraphique. Engagée depuis dans une recherche sur les résiliences et les reconstructions dont se rendent capables ceux, et surtout celles, qui y sont confronté.es, Meytal a pris l’habitude de concevoir ses créations au travers d’ateliers d’exploration Fathom High avec des non professionnels dont le vécu est proche des thématiques abordées. Son prochain solo, Dark Horse, prend à nouveau pour point de départ un élément autobiographique (le dépistage d’un gène qui augmente drastiquement les risques de cancer du sein et des ovaires) pour l’élargir aux questions proprement politiques liées à la maladie et aux traitements invasifs, aux chirurgies reconstructrices et à notre image de la féminité. 

Aussi intimes qu’en soient les ressources et les ramifications, cette recherche sur le devenir de la sensation s’ouvre ainsi immédiatement à une dimension communautaire. Les textures, la personnalité du mouvement ne sont jamais seulement individuels, ils voyagent entre nous par mimétisme ou empathie, comme une communication d’avant la parole. Au fil des années, les spectacles de Meytal Blanaru se sont ainsi rendus à chaque fois plus attentifs à leur public, plus engagés dans le partage qu’ils proposent, plus adaptables à différents contextes, plus désireux d’enclencher des dialogues et de se rendre perméables à la rencontre. 

De pratiquer, en somme, une forme chorégraphique d’hospitalité radicale.